Peer Reviewed Article
Écriture du corps et de l’espace dans le roman feminin en amazighe tachelhit
AUTHOR: Fadma Farras
Écriture du corps et de l’espace dans le roman feminin en amazighe tachelhit
Fadma Farras
Université Ibn Zohr, Maroc
Résumé:
Le corps et ses espaces ont toujours été perçus comme un champ de réflexion complexe. La construction du corps, ses identités, ses techniques, ainsi que les images et les représentations qu’en attribuent les différentes cultures et sociétés, demeurent des sujets d’une grande envergure. Le corps est souvent présenté sous forme de métaphore, de réceptacle et de vecteur des normes sociales. Il est considéré comme la première identité à partir de laquelle le reste du cosmos se divise. Lorsqu’il s’éloigne de sa réalité biologique, le corps se fond dans d’autres réalités; il devient un élément cultuel et social, servant de point d’ancrage pour l’identité communautaire. Partant de ce constat, la présente étude vise à mettre en évidence certains éléments qui constituent les visions des romancières en amazighe tachelhit au Maroc, vis-à-vis de la construction socioculturelle du corps féminin-féminisé et du corps masculin-masculinisé, vis-à-vis, aussi, des espaces assignés aux femmes et ceux occupés par les hommes.
Mots clés: écriture féminine, roman, corps, espace.
Introduction
Au cours de ces dernières années, la littérature amazighe au Maroc a connu une expansion sans précédente des œuvres littéraires. Ceci est le résultat d’un processus qui a permis la publication de nombreux ouvrages: nouvelles, romans, textes de théâtre, littérature pour enfants, poésie écrite...etc. Cette accumulation est apparue comme effet d’un contexte bien précis (au niveau politique, culturel, social…) et comme résultat d’une certaine prise de conscience identitaire. De ce fait, nous pouvons déduire que la néo-littérature amazighe est consciente des rôles à jouer et qui lui ont été attribués. “Dès les 70, les intellectuels amazighes ont décidé de passer à l’écrit. L’écriture est devenue alors une nécessité pour répondre à des besoins multiples (…) car l’intelligentsia amazighe est bien consciente que l’écriture permettra entre autre de fixer la langue amazighe” (Alahyane 2013, 64). Le choix d'écrire en amazighe n’est pas un acte anodin. Il exprime une certaine volonté d'affirmer que la langue amazighe n'est pas seulement une langue d’oralité,[1] mais qu'elle peut, elle aussi, devenir une langue de grande littérature écrite. Elle a la capacité de penser le monde et d’écrire et de décrire les phénomènes et les choses qui y existent. Ainsi, Les premiers auteurs et autrices fondateurs et fondatrices de la néo-littérature amazighe au Maroc ont essayé de revaloriser cette langue et de devancer les stéréotypes et les images négatives construites à son sujet. Ces écrivains et écrivaines ont la certitude et la pleine conviction que l'écriture permettra d'une façon ou d'une autre à changer ces images et ces stéréotypes qui nuisent à l'Amazighe.
Le contexte d’émergence de cette néo-littérature est marqué et favorisé par plusieurs facteurs et évènements, qui ont rendu son apparition et son extension possibles. Parmi ces facteurs, nous pouvons citer:
L’officialisation de la langue amazighe en 2011.
La volonté que l’Etat Marocain a exprimée pour se réconcilier avec l’amazighité. Fait qui s’était traduit par des discours royaux qui affirment l’importance et la place de l’identité et de la culture amazighes au Maroc.
La création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) en 2001.
L’intégration de l’amazighe dans des universités marocaines (Agadir, Oujda, Fès, Casablanca…) et dans le système éducatif (à partir de 2003).
La lutte et le combat acharné du mouvement amazighe (MA).
La création de plusieurs associations qui prennent comme mission la publication et la production des œuvres littéraires, en l’occurrence: Tirra Alliance des écrivains en amazighe[2] (2009) et ad nuru s tmazight (2019).
Les facteurs que nous venons de mentionner et d’autres ont contribué à la prospérité de la sphère littéraire amazighe au Maroc. Ces vingt dernières années témoignent d’une abondance assez importante de productions et d’œuvres, notamment celles écrites par des femmes. Des productions qui ne cessent de susciter l’intérêt des créateurs et des créatrices et, d’interpeller chercheurs et chercheuses dans le domaine des dynamiques artistiques et culturelles amazighes. Dans la continuité de ces travaux, nous proposons dans le présent article de mener une étude intitulée: “Écriture du corps et de l’espace dans le roman feminin en amazighe tachelhit.”[3]
Les liens qui se sont tissés entre les femmes et l’écriture romanesque en amazighe tachelhit, sont des liens très récents.[4] Pourtant, la naissance tardive de cette expérience littéraire ne l’a pas empêché d’acquérir de la notoriété et de se faire une place au sein de cette nouvelle dynamique. Ce roman dit féminin[5]/asdnan, a su, en très peu de temps, devenir l’expression et la représentation de la société où il est produit. Une société qui connaît en permanence des mutations sur tous les plans. Loin de nous l’idée de considérer cette production romanesque comme un simple reflet de la communauté. Il s’agit plutôt, d’une forme artistique qui essaye de traduire le réel par la construction d’autres signes et d’autres indices et, par conséquent, donner à ce réel d’autres significations et d’autres dimensions. Ainsi, l’écriture se veut un moyen de compréhension du monde et de soi. Une écriture de “la naissance, de la rupture (…). Une écriture du flux. Écriture de la subversion” (Makach 2020, 72).
Conscientes de ce rôle important que l’écriture littéraire joue, les romancières en amazighe tachelhit se sont données la parole pour traiter des sujets qui leur sont importants et intimes. Elles ont choisi la plume pour contredire les systèmes et les mécanismes de pensée qui vénèrent l’homme au détriment de la femme. En outre, écrire a permis à ces femmes de s’approprier une voix, d’avoir l’accès à la parole,[6] une parole audacieuse qui n’a pas honte de dire les choses telles qu’elles sont: nues. Ainsi, le rapport au corps et l’appropriation de l’espace par les hommes et par les femmes, figurent parmi les sujets qui ne cessent de les hanter.
En partant des œuvres des écrivaines que nous avons lues, étudiées et analysées, nous voulons mettre en évidence quelques éléments qui constituent leurs visions vis-à-vis de la construction socioculturelle du corps féminin/féminisé et du corps masculin/masculinisé, vis-à-vis des espaces assignés aux femmes et ceux occupés par les hommes. Les comportements qui leur sont attribués par la société, les jugements prononcés à leurs égards…sont aussi parmi les éléments qui vont constituer l’ossature de cette étude.
Pour mettre en épreuve cette problématique, nous avons opté pour l’anthropologie des œuvres littéraires: une approche herméneutique qui s’intéresse au sens du texte littéraire et à ses interprétations. Elle vise à expliciter les enjeux culturels du produit littéraire, à porter sur ces œuvres un regard anthropologique. Étudier les paradoxes de l’univers, les formes plus ou moins hétérogènes de la culture: la religion, la politique, le masculin, le féminin, l’oral, l’écrit, le centre, la marge…sont parmi les buts principaux de cette approche. Reconnaître la nature anthropologique du texte littéraire, c’est reconnaître sa nature sociale et humaine, ses dimensions symboliques et ses réalités linguistiques.
De surcroît, l’anthropologie cherche à travers le texte littéraire, à comprendre la logique et le fonctionnement d’une culture dans une société donnée, à savoir comment cette production littéraire représente l’être en tant qu’individu ou dans ses corrélations avec le groupe auquel il appartient. Le texte littéraire est constitué comme un document historique, social, humain. Jean- Marc Dubois affirme que: “l’œuvre littéraire est une production culturelle” (Dubois 1991, 72). Les romans que nous avons étudiés sont les suivants:[7] tafaska n tirrugza (Victime de virilité) et iɣzdisn frɣnin (Les côtes tordues) de Jamila Irizi,[8] adis n wuccn (Le ventre du chacal) de Moulaid Eladnani,[9] tawnza (La chance) de Fatima Bahloul[10] et tagwmart n ismḍal (La jument des cimetières) d’Aziza Nafia.[11]
Ce corpus, à notre avis, se veut témoignage d’un constat social où le féminin et le masculin se représentent comme deux entités radicalement différentes et antagonistes: l’une supérieure et l’autre inférieure, l’une valorisée et l’autre dévalorisée, l’une désirable et l’autre méprisable... ces identités qui sont à la base “deux catégorie sexuelles, chacune à part, sont en instance de devenir deux catégories socio-culturelles qui s’opposent l’une à l’autre à partir d’un ensemble de discours qui les définissent de façon, généralement, très opposée” (Ahnouch 2011, 4).
1. Présentation du corpus objet d’étude
Personne ne peut nier au texte littéraire ses critères de bases: la beauté de son style, la littérarité et la musicalité de ses phrases, le bouleversement émotif qu’il génère, l’extase et l’émerveillement qu’il fait naître dans l’esprit d’un lecteur…sans oublier, bien évidemment, la profondeur et l’originalité des pensées de l’auteur et de ses réflexions autour des phénomènes dont il parle. Mais avant tout, le texte littéraire est présence (Houellebecq 2015).[12] Chaque auteur dissimule une partie de lui dans ce qu’il écrit. Fait que la plupart des autrices interviewées ont attesté. À travers leurs textes, elles arrivent à se dire autrement et librement. À être en contact avec un autrui réel ou imaginaire et à lui confesser leurs idées, leurs espoirs, leurs échecs, leurs combats de chaque jour et de tous les jours, leurs tourments les plus intimes et leur ardente volonté de changement.
a. Résumé du roman tawnza de Fatima Bahloul
Dans un Douar niché et perdu dans les montagnes, une petite fille qui porta le prénom de saɛda avait vu le jour. Elle était la benjamine d’une fratrie de six filles. Fait que sa maman n’avait pas accepté. Zayna ɛli, la mère, voulait que son nouveau-né soit un garçon: “a nkki ur ittarun irgazn/ oh moi qui ne donne pas naissance aux hommes” (2011, 7). L’enfant, au moment de sa venue au monde, était déjà considérée porteuse de malheur. Une sorte de calamité pour son entourage, pour ses parents, ses sœurs, son grand-père…un fléau pour toute la famille.
Le père de la protagoniste, ɛumar, prit la décision de quitter sa famille sous prétexte que sa femme n’arrivait pas à faire de lui un homme heureux. Un homme fier et honoré en donnant vie à un enfant mâle. Abandonner sa famille en choisissant l’immigration en France avec muɣa, ne fait pas de lui, à son avis, ni un cruel père, ni un mari injuste, ni un fils ingrat, mais un homme qui avait besoin de prendre sa vie en main loin de son village: son ancien trou à rats.
Quelques années plus tard, saԑda fut séparée de ses montagnes et de sa famille pour devenir employée de maison à Khouribga. Elle fut mariée avec le fils de son employeuse, mais ce mariage éphémère n’avait pas duré. La jeune fille découvrit que son mari n’aimait pas les femmes. Elle constata qu’elle ne sera jamais heureuse près d’un homme qui préférait partager ses plaisirs charnels avec d’autres hommes. Suite à ceci, son mari décida de se séparer d’elle et demanda le divorce. Saɛda, aussitôt après, fut remariée à un jeune homme qui travaillait à Casablanca. Après ce deuxième mariage, elle apprit que son conjoint n’était autre que son ami d’enfance ḥasan. Il semblait que le destin, enfin, lui avait souri. Contre toute attente, saɛda dut faire face à la pire nouvelle de sa vie. Un jour, en papotant avec sa belle-mère, celle-ci lui avait dévoilé un secret: celui concernant la naissance de son fils ḥasan et la réelle identité de son père biologique. De ces révélation, saɛda se rendit compte que le père de son mari était aussi le sien; ɛumar ulḥajj. Son époux était, donc, son frère et, l’enfant que saɛda portait était un “aḥḥṛam;”[13] fruit d’une relation illicite.
Après ce choc, la jeune femme quitta la maison conjugale. En cherchant quelqu’un pour la conduire à Agadir, elle rencontra un conducteur de car qui lui avait proposé de l’accompagner chez sa femme et ses enfants. Le chauffeur lui jura sa bonne foi et sa volonté de lui tendre la main. Saɛda, en absence d’aucune autre alternative accepta la demande de ce monsieur.
Elle donna naissance à une fille et, seulement quelques jours après, le chauffeur tenta d’abuser d’elle sexuellement. Pour fuir, elle décida de se rendre à Casablanca et de se séparer de sa fille qu’elle laissa à la porte de la maison de son mari-frère ḥasan. Peu de temps après, elle rencontra ibba mawluda; une vieille dame à laquelle elle raconta tous les malheurs de sa vie. En entendant l’histoire de la jeune femme, ibba mawluda rétorqua: “iɣ am ulsɣ i tinu, rad tumayt i rbbi nnm. mad fllam izrin, ur ilkm amkkuẓ lli flli izrin/ Si je te raconte mon histoire à moi, tu vas remercier Dieu. Ce que tu as traversé, n’est même pas un quart de ce que j’ai vécu.” (2011, 77). Sur cette phrase, le roman prit fin.
b. Résumé du roman tafaska n trrugza de Jamila Irizi
Tima est une enfant que sa famille, son entourage, les traditions et la loi avaient condamné à épouser son bourreau. Elle est forcée à devenir la femme de l’homme qui l’avait violée et qui avait transformé sa vie et son monde d’enfant en enfer. L’enfant, après ce drame, devint la honte de sa famille et de toute la société où elle vivait. Pour réparer ce malheur, elle devait se marier avec son violeur. Le mari s’était fait racheter auprès de la communauté par ce mariage. Il pensait que sa conduite, le crime qu’il avait commis avait été effacé par cet acte. Chaque nuit, Tima se faisait violer par son conjoint. Pour ne pas mettre fin à ses jours et pour cesser de s’apitoyer sur son sort, elle trouva dans le travail son refuge. Pour que sa rage ne la consume pas, elle choisit d’enchainer tâches après tâches, activités après activités…Ceci fut son quotidien pendant quelques années. La protagoniste n’était plus une enfant. Elle avait grandi. Un jour, le nouvel enseignant du Douar arriva: jeune, beau, attentionné…et tima tomba vite sous son charme. Elle pensait trouver en lui son havre de paix, son sauveur, celui qui allait la faire oublier son douloureux passé, l’homme qui pouvait guérir les blessures causées par son mari: celles de son âme et celles de son corps.
Tima fut écrasée par ses illusions et par ses rêves tant bercés. Son amant lui avait annoncé, à la fin de l’année scolaire, qu’il allait partir du hameau et qu’il ne reviendrait plus. Quelque temps après le départ de celui-ci, tima découvrit qu’elle était enceinte. L’enfant n’était pas celui de son mari. Peur d’être punie et jugée par ses frères, ses parents, son mari et par le reste de sa communauté, elle décida de s’enfuir.
Elle devint prostituée pendant quelques années. En souhaitant se débarrasser de son passé honteux, elle voyagea en Arabie Saoudite: le pays des croyants et de l’islam juste. Celui aussi de la richesse et des opportunités. Mais, elle découvrit que son employeur ne voulait pas d’elle comme simple employée de maison. Lui, il désirait plus que ça. Être un instrument pour les plaisirs des autres était son destin et, ce destin refusait de la quitter d’un pouce même en changeant de pays. Pour en finir avec sa maudite destinée, elle mit fin à la vie de son employeur et elle se suicida après. En découvrant ce crime, la maîtresse des lieux fit disparaitre le corps de tima et convainquit les autres que son mari avait été tué par des voleurs.
c. Résumé du roman adis n wuccn de Moulaid Eladnani
Ce roman constitue un rassemblement, à la manière des puzzles, de bribes et de fragments appartenant à la vie d’argaz. Des débris que l’autrice avait étalés sur dix-sept sous titres. Argaz après plusieurs années de voyage et d’errance, était de retour dans son village natal. Debout sur une colline, il contemplait les merveilles de la nature. Il se comparait à Baudelaire et à son Albatros. Il se confessait à lui-même son incapacité à avoir une vie normale, son inaptitude à rester fidèle à une seule femme…Il n’arrivait même pas à aimer ses propres enfants…la seule chose qui lui était précieuse et qu’il jugeait importante dans sa vie était sa nature d’homme, le fait d’être né dans le corps d’un mâle. Dans un langage solennel, Il exhibait ses exploits: fier comme un coq: “uf filɣ mani ur kkiɣ am ibn bbṭṭuṭa, ur filɣ ma ur nniɣ am zraditc! ur filɣ ma ur skrɣ am iskubar, ur filɣ ma ad d ur gnɣ am cahṛayaṛ…ini akkw ur filɣ ma ur nɣiɣ am xalid bn lwalid! / J’ai couru le monde comme Ibn Batouta. J’ai tout dit comme Zarathushtra. J’ai tout fait tel Escobar. Je n’ai pas laissé une femme avec laquelle je n’ai pas couché comme Shahryar… Je peux même dire que, comme faisait Khalid Ibn Al-Walid, j’ai tué tant de gens” (2020, 7).
L’histoire avançait et argaz dévoila que parmi les métiers qu’il avait exercés dans sa vie figuraient celui d’un maffieux. Il raconta un événement qu’il avait vécu en compagnie de sa bande. Un jour, ils capturèrent un petit berger qui avait laissé entrer son troupeau dans un champ appartenant à ɛqqa: le parrain de cette mafia. Ils l’avaient démoli, le frappaient jusqu’à frôler la mort, urinaient sur son visage et, pour couronner le tout, décidèrent d’aller chez l’épouse de leur victime pour la violer.
Parmi les interrogations qui ne cessaient de travailler les méninges d’Argaz les femmes. Il avait toujours essayé de comprendre ce qui se passe dans leurs têtes. D’analyser leurs comportements et de les cerner. Dans un dialogue entamé avec une femme avec laquelle il avait couché, il déploya ses épreuves pour faire croire à son interlocutrice que les femmes, même celles qui prétendaient être libres, n’avaient pas de cervelles. C’était l’homme qui avait et qui a toujours les ficelles du jeu.
d. Résumé du roman iɣzdisn frɣnin de Jamila Irizi
Le texte retraçait l’histoire de deux femmes: siman la journaliste et tamarat/tanirt l’écrivaine. Les évènements commençaient par le récit de vie de siman. Celle-ci, rebelle depuis son très jeune âge, éternelle contestataire contre toutes les normes établies par sa communauté…Après avoir perdu ce que les autres nomment l’honneur d’une femme (sa virginité), siman s’était retrouvée dans l’obligation de se marier avec son amant ɛlla. Suite à ce mariage, la vie de la protagoniste avait pris d’autres sentiers. Son ɛlla n’était plus le même. Leur amour devint éphémère. Ses plaisirs et ses besoins n’étaient plus une priorité pour son mari. La vie de siman était insupportable, une vie de haine et de trahison. Un quotidien qui ressemblait dans ses moindres détails au visage pâle de la société que siman avait toujours essayé de fuir et/ou de changer. Pour sauver le peu de dignité qu’il lui restait, elle demanda le divorce et rentra à la maison de ses parents.
Siman avait entamé une nouvelle bataille. Elle lutta pour devenir journaliste. Objectif qu’elle atteignit en un temps record. Elle choisit d’endosser le rôle du porte-parole des femmes maltraitées, harcelées, violées, battues et trucidées… C’était sa voix contre la voix de toute la société. Contre le jugement de son entourage qui n’avait jamais cessé de salir sa réputation. Contre les avis d’autres femmes qui avaient accepté leur condition de femme soumise, de femme reproductrice des valeurs androcentriques.
Dans son combat et son engagement pour la cause féminine, siman fit la connaissance d’une autre femme: tamarat. Elles partageaient leurs soucis, leurs combats pour l’émancipation de la femme. Mais avant tout, elles partageaient toutes les deux un passé qu’elles portaient comme un fardeau. Siman trouva en tamarat une âme qui ressemblait à la sienne. Une femme qui avait des visions similaires à ses propres convictions et, qui cherche à faire entendre la parole des autres femmes. siman découvrit que la vie de tamarat n’était pas un long fleuve tranquille. Qu’elle avait vécu des tempêtes et des orages. Depuis son très jeune âge, quand elle n’était qu’une enfant, elle était victime de toute sorte d’abus sexuel. Beaucoup d’hommes l’avaient considéré comme un moyen d’assouvir leurs ardents désirs. Par conséquent, tamarat perdit toute confiance en l’amitié et en sa famille. C’était l’ami le plus proche de son père qui avait tenté de la violer. De son vécu, tamarat déduisit que les combats des femmes menés par des hommes ne sont qu’une farce. Une comédie malsaine pour des fins et pour des raisons quelconques. L’un de ces militants pour les droits et pour la liberté de la femme l’avait violée quand elle n’était qu’une enfant. Un pédophile qui avait tué en elle tout ce qui était beau, tout ce qui était innocent. Cet homme (politicien) s’appelait lḥajj bṛahim atanan. Après la mort de tamarat, siman ferait en sorte que lḥajj bṛahim atanan paie pour ses crimes.
e. Résumé du roman tagwmart n ismḍal d’Aziza Nafia
Au bord d’une mer agitée et sauvage, se situait un hameau qui portait le nom de tazarut. Dans ce Douar demeurait une vieille fille/tanburt nommée tlaytmas. Malgré le fait de vivre dans une communauté patriarcale, conservatrice et phallocrate, la protagoniste n’avait pas froid aux yeux. tlaytmas vivait sa vie amoureuse et sexuelle comme elle le souhaitait. Elle entamait une relation secrète avec un homme qui s’appelait iddr. Son souhait le plus ardent était de se marier un jour avec lui.
tlaytmas tomba enceinte. En révélant ceci à son amant, il l’abandonna. Sa mère, en découvrant l’erreur fatale de sa fille et, pour ne pas devenir la honte de toute la communauté, avait choisi pour elle un époux. Pour le plus grand malheur de tlaytmas, le choix de sa mère fut tombé sur lḥajj blɛid: un vieux grincheux qui avait fini par tuer, d’une manière ou d’autre, toutes ses anciennes épouses. Ce mariage pour tlaytmas, était une descente directe aux enfers. Mais, quelque temps après, Le féroce lḥajj blɛid avait été retrouvé, un jour, mort d’une façon tragique. Quelqu’un l’avait tué. D’autres meurtres avaient lieu et toutes les victimes sont des hommes. Avant ces drames, les hommes du Douar étaient les seigneurs des lieux. Ceux qui fixaient les lois et qui instauraient les normes. Ces assassinats chamboulèrent cet ordre. La peur prit possession des hommes et finit par les paralyser. Chose qui permit aux femmes plus de liberté, plus du courage et plus d’espace... Plusieurs années s’écoulèrent et, personne n’avait jamais percé l’identité du criminel qui avait tué plusieurs hommes du village. Un jour tlaytmas disparut comme s’elle n’avait jamais existé. À sa fille qui était devenue adulte, elle laissa une lettre. En lisant les quelques mots griffonnés par sa mère, tidar apprit que la personne à l’origine de tous ces meurtres; lḥajj blɛid, iddr, lamin l’ancien fqih du Douar, ḥmaydduc…, n’était autre que sa propre maman tlaytmas.
Les résumés que nous venons de présenter, même s’ils sont brefs, peuvent nous aider à reconstruire un regard nouveau sur cette production littéraire qui vient de faire ses premiers pas sur la scène littéraire au Maroc. Les univers que les romancières en amazighe tachelhit arrivent à dessiner sont meublés des thématiques oppressantes. De celles-ci seront découlés les deux axes qui constitueront la suite de cette étude.
2. Écrire le corps féminisé et le corps masculinisé
La mise en scène du corps par les autrices en amazighe tachelhit a pour objectif de redonner la parole à ce corps. L’écrire et le décrire leur permettent de s’opposer aux préjugés et aux traditions qui l’ont tant marginalisé au profit de l’âme et de l’esprit. En se révoltant et en se contestant “contre un héritage social où la doxa est le résidu de siècles de traditions, le roman féminin a la mission de démontrer que la culture a métamorphosé la nature, égalitaire” (El Kourri 2018, 150). Depuis toujours, le corps a été jugé comme étant un champ de réflexion miné. Sa construction, ses identités, ses techniques (Mauss 1934), les images et les représentations que les cultures et les sociétés construisent à son égard, restent des thèmes d’une grande complexité et d’une grande envergure. D’un point de vue anthropologique, la classification du monde et le classement des êtres, des objets et des choses qui lui appartiennent, sont faits à travers l’observation des enveloppes corporelles de ceux-ci. Ainsi, le corps devient “le point d’ancrage de la pensée et de l’ordre social (…). C’est l’observation de ce corps qui a abouti à la mise en place de structures sociales et de structures de la pensée” (Heritier 2003, 9-10). De ce fait, nous présumons que c’est sur les peaux des personnes que se jouent tous les jeux de la société et ceux de la culture. Les hommes et les femmes ne sont pas seulement les gardiens temporaires des particules qui composent leurs propres corps, mais, aussi, les gardiens des bonnes manières et des bonnes conduites des corps des autres.
En effet, le corps ne va être un élément d’écriture présent et pesant dans la littérature romanesque en amazighe tachelhit qu’avec l’apparition des récits féminins. Un corps qui devient, dans cette production, un espace-lieu où des relations socioculturelles, religieuses et même politiques s’articulent. Ainsi, les comportements, la manière d’être, les attitudes des gens et leurs conduites dépendent de l’identité de leurs corps et de la nature de leurs sexes. Cette écriture du corps et sur le corps, celui des femmes et celui des hommes, présente et représente un regard sur l’ensemble des mécanismes politiques, sociaux, culturels, religieux… qui transforment un corps né avec pénis en corps masculin dominant, central, autonome…et, un corps né avec vulve et vagin en corps féminin dominé, soumis, dépourvu de pouvoir, contrôlé, possédé… “Le monde social construit le corps comme réalité sexuée et comme dépositaire de principes de vision et de division sexuants. Ce programme social de perception incorporé s’applique à toutes les choses du monde, et en premier lieu au corps lui-même” (Bourdieu 2002, 23).
Il en résulte que la réalité biologique du corps se transforme en outil de légitimation du rapport masculin-dominant/féminin-dominé. Un moyen qui renforce le système de patriarcat que les autrices ont tant critiqué et accusé puisqu’il “dépossède les femmes de leur corps, dans le sens que ce corps n’est pas considéré comme le corps de leur propriétaire, mais plutôt comme un corps pour les hommes” (Glacier 2019, 8). Le personnage de tamarat dans le roman d’Irizi iɣzdisn frɣnin/les côtes tordues, parvient à articuler cette réalité “nkrɣ d ɣ yan udɣar ɣ iyi ssutln ɣas ibuɣaɣ, ur jjun gigi ẓṛin tazzant, giɣ bdda darsn asnfaṛ n tiqqut…yan wakud ɣ tudrt inu is akkw syafaɣ is d tawuri nw ad tt igan d ad gaɣ imiss n yan d tiwi tizi, msasaɣ akkw is d asrgm winu ad iga ur d winnsn, kra s ar ttimɣurɣ ar ttsyafaɣ is d tafaska ad giɣ (2020, 48) / j’ai grandi entourée par des chacals, ils ne m’ont jamais considéré comme enfant, à leurs yeux j’étais toujours un objet à baiser…à un certain moment de ma vie, j’étais persuadée que ma seule mission était de devenir un instrument pour les autres, j’avais la conviction que je n’étais qu’une ordure et que c’était de ma faute à moi, j’ai commencé à grandir et pourtant j’avais toujours cette sensation de n’être qu’un sacrifice.”[14] Ce passage représente le corps féminin comme un corps soumis, un terrain que les hommes ont droit à déployer à leur guise. De ce constat, nous pouvons déduire que “les hommes sont conçus comme les sujets de l’acte sexuel, tandis que les femmes sont considérées comme les objets de cette sexualité (…) elles sont toujours le complément d’objet direct” (Glacier 2019, 28).
Par conséquent, le corps se transforme en porteur, à un lieu d’observation (Heritier 1996:14), chose qui va accentuer, par la suite, des paradigmes qui féminisent un corps et qui en masculinisent un autre. Ainsi, nous nous trouvons en face de deux réalités corporelles construites socio-culturellement et qui n’ont rien à voir avec la réalité biologique de ce corps. Tenant compte de cette situation, les autrices refusent d’accepter cette inégalité qui n’est pas un effet de la nature. Les personnages/héroïnes contestent contre les règles sociales qui réduisent leurs corps à de simples objets instrumentalisés, à de vulgaires choses que les hommes s’approprient…la voix de ces femmes/personnages est une voix qui transgresse un système “qui les mets au service de la procréation du masculin ” (Heritier 2002, 16).
tlaytmas, la protagoniste du roman tagwmart n ismḍal d’Aziza NAFIA, redondance du sujet tlaytmas, se révolte contre toutes les instructions et les règles établies par son entourage. Elle a choisi de vivre librement sa sexualité, de célébrer son corps malgré les risques, de devenir la jument des cimetières que tout le monde craint, elle s’est permise de rêver, de dissoudre les chaînes qui l’entravent et qui la séparent de sa liberté “tarwla ann ɣ kra igat tikklit ar ttili kigan n tamimt d taḍfi, lliɣ ar ttakwrɣ tizi n tumrt zun d hlli ukrɣ awtil ɣ imi n yizm/ Cette fugue, à chaque fois que je la tente, elle me procure beaucoup de plaisir et de jouissance, quand je vole ces moments de bonheur, j’ai l’impression de voler un lapin de la bouche d’un lion” (Nafia 2021, 11).
L’utilisation du symbole de tagwmart n ismḍal/la jument des cimetières par l’autrice Nafia est un choix mûrement réfléchi, pour réaffirmer qu’aux yeux de la société, toute femme qui ne respecte pas les règles et les normes n’est qu’une jument dévoratrice. La légende de la jument des cimetières est l’histoire d’une femme qui a refusé de suivre la tradition musulmane qui oblige toute épouse à porter le deuil après la mort de son mari pendant quatre mois. Cette femme s’est métamorphosée en jument qui réside dans des cimetières et qui, par sa beauté hypnotique, capture les hommes et les dévore. Une femme qui s’insurge contre les codes du patriarcat, qui vit sa liberté sexuelle, qui parvient à articuler ses désirs et ses besoins corporels est un danger pour les hommes. C’est parce que les femmes de ce genre sont dangereuses “surtout pour la partie masculine de l’humanité, qu’elles doivent être tenues en lisière, étroitement contrôlées et leur vie peut même être menacée” (Heritier 2002, 31). Pour écarter le danger que ce type de femme représente, les hommes ont besoin de réprimer la féminité et le corps féminin en lui attribuant toutes les impuretés et les imperfections du monde, le considérant, même, comme un sac rempli d’ordure (Heritier 2002, 33).
Une femme qui a de tel pouvoir, ne peut pas être considéré comme femme. Elle devient ogresse, jument des cimetières, bouffeuse, dévoratrice…elle est tout sauf femme. Celles qui arrivent à susciter la crainte des hommes, même si elles ont l’apparence des femmes elles ne le sont pas. En outre, “la femme libre, ne peut être qu’invisible, car elle porte en elle un féminin destructeur… Cette femme libre intrigue, terrorise, active une culpabilité masculine accablante” (Chikhaoui 2011, 29). Les femmes et leurs corps doivent être domptés et même anéantis, leur sexualité considérée comme sauvage et menaçante pour l’homme doit être soumise et contrôlée par la société.
tlaytmas a cédé à la tentation de la liberté, cependant, sa condition de femme dans une société phallocrate ne va pas tarder à la faire revenir à la réalité, vers l’évidence de son statut. Moulaid Eladnani dans son roman adis n wuccn dessine une image sarcastique de ce statut: “tudrt n imudar ur sar rad tngiri d tutmin ɣ wamun nnɣ. iɣ tlla twtmt ɣ tgmmi n babas tg tasnust. iɣ tiwl tg tafunast, iɣ akkw tnnit nga as atig ar tettgga tagwmart ! tutmin, gant ulli, iɣ asnt ur ngi amksa tnt ikssan nɣ aydi tnt ittḍufn, ng uccn tnt icttan / la vie des animaux ne se différencie en rien dans notre société de celle des femmes. Dans la maison de son père, elle est ânon. Quand elle se marie elle devient une vache, si nous voulons la valoriser nous l’appelons jument! Les femmes sont des bétails, quand nous ne nous sommes pas le berger qui les surveille ou le chien qui les garde, nous devenons le chacal qui les dévore” (Eladnani 2020, 27).
Au sujet du corps masculin/masculinisé, les romancières l’ont décrit comme étant celui qui se situe au sommet de la classification dualiste du genre, celui qui transmet la filiation, le sexe majeur/fort qui domine le sexe mineur/faible (Heritier 1996, 53). La sexualité masculine est toujours vue, par le corpus étudié, comme une sexualité qui ne déshonore pas, par contre à celle des femmes, elle n’est ni jugée ni surveillée, elle est impunie et même bénéfique.
Dans la plupart des textes étudiés, le corps, malgré ses luttes acharnées, ses combats intenses contre la soumission et l’assujettissement, ses essais d’évasions, se confronte à des réalités inchangeables, à des pensées et à des mentalités qui l’accablent, et qui continuent de le voir comme une identité qui condamne. À travers les plaies, les souffrances, les cris…à travers l’agonisation de ce corps, les romancières nous forcent à faire face aux images violentes des réalités que nous refusons de voir et, à prendre en pleine figure les portraits écrasants et brutaux de ces constats avec lesquels nous avons tant de difficultés. En dessinant par les lettres des tableaux dans ce genre, elles estiment remettre en question lesdites valeurs de la société, les modes de socialisation, la construction culturelle du masculin et du féminin et, avant tout, mettre en épreuve et, pourquoi pas, en péril l’humanité de l’être humain. Ces histoires que les autrices nous livrent, cherchent à casser les hommes et les femmes tels que la société et la culture les construisent, pour accéder, par la suite, à leur réparation. Une écriture qui devient: réparatrice des vivants.
3. Décrire l’espace: celui des hommes, celui assigné aux femmes
Les récits féminins que nous venons de mentionner, essaient de peindre les images fragmentées d’une société cassée, en désordre et qui se cache derrière ses masques de coutumes et de traditions tout en refusant de changer sa vision et sa perception du monde. Situation que nous estimons difficile à changer surtout que les structures et les “catégories cognitives quel que soit leur contenu dans chaque culture, sont extrêmes durables, puisqu’elles sont transmissibles, inculquées très tôt par l’éducation et l’environnement culturel, et relayées par tous les messages et signaux explicites et implicites du quotidien” (Heritier 1996, 16). Parmi ces réalités qui persistent encore, contre toute sorte de changement et d’évolution, nous citons la classification dualiste et la répartition sexuelle de l’espace: celui des hommes d’une part et celui assigné aux femmes de l’autre part.
Nous souhaitons à travers ce survol abrégé et rapide sur la thématique de l’espace dans l’écriture romanesque féminine en amazighe tachelhit, non pas le traitement de cet aspect comme élément narratif et, non plus comme forme poétique/esthétique qui ne cesse, pourtant, d’évoluer et de se reconstruire à travers ces textes.[15] Ce que nous ambitionnons, c’est de comprendre comment cette appropriation et cette répartition de l’espace renforce le pouvoir et l’hégémonie d’un sexe sur un autre. Comment l’espace, se transforme d’une simple étendue comprenant des objets, à un moyen qui permet la procuration de pouvoir et par conséquent, légitime toutes les formes de domination?
En partant du fait que chaque communauté a ses propres perceptions de l’espace, nous présumons que celle-ci “à l’intérieur de sa vision du monde, dessine un savoir particulier de l’espace: elle lui donne sens et valeurs. L’espace véhicule donc des éléments de culture d’une société” (El Mountassir 2011, 59). Un héritage culturel tant critiqué par les autrices en amazighe tachelhit. Dans son roman iɣzdisn frɣnin, le personnage de tamarat refuse cette culture qui écrase les femmes sous ses lourds poids de coutumes et de traditions. L’un des canaux qui accentuent et qui continuent de garder ce statut inégalitaire, d’après ce personnage, n’est autre que la chanson traditionnelle, “amagrad inu amzwaru iɣ t tɣrit ar isawal f uẓawan aqbur d gar asmmaqql ismuqqul ntta d wamun tawtmt…/ Mon premier article, si tu l’avais lu, parle de la chanson traditionnelle et du regard négatif qu’elle porte, elle et la société, à l’égard de la femme…” (Irizi 2020, 31).
Si le personnage de tamarat critique cet héritage, c’est parce que ce dernier persiste à perpétuer la tradition selon laquelle la répartition de l’espace entre les hommes et les femmes reste inéquitable.[16] Au titre d’exemple, nous citons quelques vers du fameux poème d’Albensir aggwrn/La farine: “ur illi rrxa ɣ usngar ula ɣ uẓalim, a ha nn rrxa ur t nḍuf ɣar ɣ tmɣarin, nttnti ka yujadn kksnt aɣ aɣaras, iɣ nluḥ tiṭṭ ɣ lmdint ula ccawariɛ, nttnti d waḍu d lhif ka d sul ittllin/Ni les oignons ni le maïs ne sont bon marché, ô je vois seules les femmes le sont, elles sont abondantes qu’elles nous empêchent le chemin, quand on jette l’œil sur la ville et sur les boulevards, il n’y a qu’elles, le vent et la famine qui se promènent.”
Pour revenir au roman en amazighe tachelhit, nous avons remarqué que depuis la parution des deux premiers textes, à savoir celui de Mohamed AKOUNAD tawrgit d imikk/ un rêve et un peu plus, et celui d’Aboulkacem EL KHATIR imula n tmktit/ les ombres de la mémoire en 2002, jusqu’à 2011, les espaces réservés aux personnages-femmes[17] sont des espaces qui leur permettent d’effectuer leurs tâches domestiques: la maison, les champs qui se situent près de leurs domiciles, les sources d’eaux… alors que les personnages-hommes bénéficient du pouvoir de l’accès à tous les espaces publics, tels que les endroits où se déroulent les palabres, les marchés, les villes, des lieux de travail où les femmes n’ont pas droit d’y être. Cette production littéraire écrite par des auteurs-hommes a privé les femmes du rôle du personnage-protagoniste. La majorité des romans publiés jusqu'aujourd'hui par des écrivains sont des romans qui célèbrent le héros-homme[18]. Refusant cette situation, les écrivaines “ont investi certains espaces considérés comme exclusivement masculins. Parmi ces espaces, la création littéraire” (Maaroufi 2020, 7). Elles ont l’audace de proclamer leur chambre à soi, pour emprunter l’expression de Virginia Woolf. Un lieu où elles peuvent s’exprimer et se libérer: leur zone de rébellion.
Chassées de cet espace public et privées de ce rôle d’héroïne dans l’écriture romanesque des auteurs-hommes, les romancières en amazighe tachelhit, ont choisi, à travers leurs écrits de réattribuer l’espace, de faire sortir leurs personnages féminins de l’ombre, de ces espaces qui les domestiquent et qui les réduisent au statut de simples objets/sujets. Les autrices se révoltent, une fois de plus, contre leur entourage qui a tenté souvent “de réprimer la prise de parole par une manipulation des traditions et des religions. La femme, la grande absente de l’arbre à palabres, a souvent été exclue des espaces où les décisions importantes se prenaient” (Makach 2020, 61).
Quand le personnage de siman dans le récit de Jamila IRIZI iɣzdisn frɣnin, a choisi de sortir de son cocon, d’avoir un travail et de gagner sa vie en devenant journaliste, les gens de son milieu l’ont réprimé. Ils ont accusé sa conduite et son comportement qui nuit, à leurs yeux, à la bonne réputation de leur communauté. Ils avaient peur que leurs filles et leurs épouses suivent les traces de cette femme: belle, divorcée, fonctionnaire, qui sort et qui est indépendante et incontrôlable… “addad n siman usin t ayt usun f tiṭṭ mẓẓiyn, unnin gis ufuɣ n uɣaras, d gar addur, ar gis ẓṛṛan gar amdya i istittsn d tmɣarin nnsn d istmattsn, kṣuḍnt asnt ad tt ḍfṛnt g uɣaras ann lli smuqquln ma s ur igi win twtmt taḥuḍigt, illis n tgmmi / La conduite de siman n’est guère tolérée par les gens du douar, ils la considéraient comme quelqu’un hors du droit chemin, quelqu’un qui porte atteinte à leur honneur, ils voyaient en elle un mauvais exemple pour leurs filles, leurs femmes et leurs sœurs, ils avaient peur que ces femmes prennent le même sentier qu’elle, chose qu’ils estimaient impropre à une femme de bonne famille” (Irizi 2020, 6). Siman, par ses agissements et son attitude, est vue comme une sorte d’anomalie, son comportement est une atteinte à la personne et à l’honneur masculin, puisque cet honneur réside dans la vertu des femmes.
Le refus et la crainte que l’entourage de siman exprime envers elle sont dus à leur peur qu’elle soit un modèle à suivre par les autres femmes, chose qui va chambouler l’ordre et l’agencement institué et par conséquent renverser les statuts du pouvoir. Pénétrer les espaces des hommes signifie qu’ils sont dans l’obligation de partager l’autorité, signifie aussi le commencement de la fin de l’hégémonie exercée sur les femmes dans une société androcentrique.
Si la femme qui se libère des codes sociaux-culturels qui entravent son corps perd son statut de femme tel qu’il est décrit par la société et devient autre chose (jument, ogresse…), celle qui accède aux espaces des hommes, s’altère en homme. Elle subit une sorte de transformation de rang et donc de situation. Il n’est pas toléré qu’une femme normale adhère à ces lieux sans cette transition, sans subir ce rite de passage. Zayna ɛli, l’un des personnages du roman de Fatima Bahloul tawnza, s’est fait baptisé homme aux yeux de la communauté quand elle a pénétré des lieux et des fonctions tant réservés aux hommes: “zɣ akud ann, ad tga imma argaz, ur tt jjun sul ẓṛiɣ ad talla, ayt udwwar myarn as tt ẓṛṛan ar tsawal d irgazn, ur sul illa mad fllas isawaln. ar ṭṭamẓ tiwizi ɣ tayrza, tamgra, iɣ rad tsrut (…) tga yan zɣ irgazn n udɣar nnɣ / Depuis ce temps-là, ma mère est devenue un homme, elle ne pleure plus, les habitants du hameau ont pris l’habitude de la voir en train de discuter avec les hommes, personne ne la critique plus, elle prend son tour pour le labourage, pour le moissonnage, pour la récolte (…), elle est l’un des hommes de notre village” (2011, 36).
En réfutant ces visions qui veulent que la femme reste éternellement dans son cocon familial, les autrices ont créé et proposé à travers les histoires de leurs personnages-femmes d’autres alternatives. Dans la plupart de ces textes, la femme n’est plus esclave des lieux domestiques et traditionnels, elle sort, elle fréquente l’école, elle travaille, elle voyage, elle est fonctionnaire, serveuse, femme de ménage, journaliste, écrivaine…elle n’a plus besoin d’un mahrempour l’accompagner et pour la surveiller.[19]
Conclusion
À travers les textes étudiés, les autrices contestent le fait que la femme doive toujours se faire petite, invisible, enfermée, pudique…que ses mouvements soient calculés et limités pour ne pas susciter la frustration masculine et par conséquent le désordre. Par le truchement de l’écriture, elles ont essayé de s’affirmer, d’exister, d’être une voix qui revendique. Leur parole devient leur arme.
Cette écriture féminine, n’est pas seulement revendicatrice, transgressive et destructrice des structures dévalorisantes d’un sexe et valorisantes d’un autre. Elle est aussi représentative des réalités et des constats qui ont permis à la société et à la culture, depuis toujours, de tenir et de tirer les ficelles de cette danse séparative entre le féminin et le masculin. De surcroît, ces récits sont des écrits hétéroclites, une écriture fragmentée et inclusive, qui pense le corps et l’espace, non seulement comme deux entités que la culture et la société ont scellées et marquées par l’ampleur de leurs sceaux et de leurs normes, mais aussi le corps et l’espace comme formes esthétiques que les autrices déploient pour construire leurs œuvres littéraires.
Bibliographie
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[1] Cela ne veut pas dire que l’oralité n’a pas d’importance. Personne ne peut nier que toutes les sociétés humaines ont connu la littérature orale avant de connaitre celle écrite et, que la parole précède l’écrit. Ilona Kovacs et autres affirment dans leur ouvrage Introduction aux méthodes des études littéraires qu’à l´origine, le stockage se faisait par la mémoire individuelle et collective, et il existe toujours des sociétés (en Afrique par exemple) qui n´utilisent pas l´écriture pour transmettre leurs connaissances de générations en générations” (2004, 2).
[2] Tirra Alliance des écrivains en amazighe est une association créée en 2009 à Agadir (Maroc). Depuis sa création elle a réussi à publier 253 ouvrages dans des domaines divers de la néo-littérature amazighe (romans, nouvelles, poésie, littérature pour enfants, textes de théâtre, études et recherches sur la littérature amazighe, traduction…). Parmi les fondateurs de cette association Mohamed Akounad, Mohamed Oussous, Lahcen Zahour et Abdeslam Amakha.
[3] Au Maroc, la langue Amazighe se présente sous la forme de trois dialectes majeurs. Le Tarifit qui est employé au Nord du pays. Dans le Moyen Atlas nous trouvons le Tamazight. Le Tachelhit est le parler des amazighes du Sud-Ouest du pays. Ce dernier couvre une aire géographique très vaste; notamment le Grand Atlas et l’Anti Atlas.
[4] Le premier texte romanesque féminin écrit en amazighe tachelhit est celui de Fatima Bahloul tawnza/la chance publié en 2011 par l’Alliance des Ecrivains en Amazighe TIRRA.
[5] Au cours de cette étude, nous avons choisi d’utiliser l’expression “roman féminin/littérature féminine” malgré toute la polémique engendrée autour de/et par cette expression (Des critiques qui affirment l’universalité de la littérature et qui refusent que cette production soit sexuée). Nous avons opté pour ce choix pour plusieurs raisons, parmi lesquels nous soulignons deux: d’après notre lecture de la production romanesque écrite en amazighe tachelhit, nous avons remarqué que les textes écrits par des autrices ont plusieurs caractéristiques qui les différencient de ceux écrits par des auteurs, que ce soit au niveau thématique, au niveau des techniques déployées ou au niveau du style littéraire. Nous avons, aussi, décelé que la plupart des textes écrits par des femmes sont des textes qui critiquent et qui accusent dans un premier lieu les structures du patriarcat qui régissent la société et, qui réservent à la femme “la deuxième place” et, par conséquent, qui la considèrent comme un deuxième sexe comme disait Simon De Bouvoir.
[6] L’appropriation d’une parole donnera à ces autrices l’opportunité de revendiquer leurs droits et à exposer leurs opinions, surtout dans une société où la parole a été toujours considérée comme un bien que seuls les hommes ont droit à détenir. Un domaine des hommes: “awal i irgazn, anwal i tmɣarin/ la parole pour les hommes, la cuisine aux femmes” comme le démontre bien le proverbe.
[7] Ces romans ne constituent pas la totalité des textes féminins écrits en amazighe tachelhit. Un tableau qui contient l’ensemble de ces textes est mis en annexe dans cette étude.
[8] Jamila Irizi est une écrivaine en amazighe. Née à Igherm Ida Ou Kensous-Taroudant (Maroc) en 1988. Titulaire d’une licence en études anglaises à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d’Agadir. Actuellement, elle est enseignante au primaire. Autrice de plusieurs textes littéraires et traductrice en Amazighe. Depuis 2014 elle a publié: tidar (Texte théâtral), tafaska n trrugza en 2017 (Roman), tagduda n imudar en 2018 (traduction de la ferme des animaux de George Orwell en collaboration avec Moulaid El Adnani), ifalan n tugawt en 2019 (Texte théâtral) et iɣzdisn frɣnin en 2020 (Roman).
[9] Autrice, poétesse et traductrice en amazighe. Née en 1987 à Igherm Ida Ou Kensous-Taroudant (Maroc). Enseignante de la langue amazighe. Elle a obtenu sa licence en études amazighes à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d’Agadir. Son premier texte ilkmimz azgzaw (recueil de poésie) a paru en 2013, suivi par son roman ha tudrt ha d amarg nns en 2015. En 2017 Moulaid a publié son deuxième recueil de poésie intitulé tarikt n tfidi et, en 2018 tagduda n imudar (traduction du texte la ferme des animaux de George Orwell en collaboration avec Jamila Irizi). Même année, son roman inaḍan n waḍan a vu le jour. En 2020, un autre roman d’Eladnani va enrichir la bibliothèque amazighe: il s’agit de son texte adis n wuccn.
[10] Fatima Bahloul est la première femme romancière en Amazighe tachelhit. Après avoir publié son roman tawnza en 2011, d’autres femmes vont suivre son exemple. Bahloul a fait ses études à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) à paris. Actuellement elle est enseignante de la langue française. tawnza est la seule publication de cette autrice.
[11] Autrice en amazighe. Elle est née en 1984. Titulaire d’une licence en études amazighes à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d’Agadir (FLSHA). Elle suit actuellement ses études en Master Langue et Culture Amazighes à FLSHA et travaille comme enseignante de la langue amazighe. Elle a publié deux recueils de nouvelles: adfl d imttin d kra yaḍn en 2009 et tiwrmin n usyafa en 2016. En 2021, Aziza Nafia a écrit son premier et unique roman tagwmart n ismḍal.
[12] L’idée que nous avons devancée, nous l’avons reformulée.
[13] Dans la religion musulmane, ce terme est utilisé pour désigner un bâtard.
[14] Nous voulons mentionner que la traduction que nous avons faite n’est qu’une traduction approximative du sens, les extraits contiennent des expressions culturelles qui sont parfois intraduisibles
[15] Questions qui méritent des études profondes, surtout que les recherches consacrées à la thématique de l’espace dans le roman en amazighe tachelhit sont encore rarissimes. Nous citons à titre d’exemple: L’article de Larbi Moumouch intitulé “L’espace dans azrf akucam de Abdellah Sabri.” In Lectures dans le roman amazigh. Publications Tirra Alliance des Ecrivains en amazighe. Rabat: Dar Assalam, Rabat, 2014, 41-63; L’article de Mohamed Boutchkil, “جمالية الفضاء في رواية يان أوسكاس غ تزكي” In L’écriture narrative amazighe approches critiques, Publications Tirra Alliance des Ecrivains en Amazighe Rabat: Dar Assalam, Rabat, 2014, 89-99.
[16] Ce poème, Aggourn fut chanté par Hadj Mohamed Damciri et enregistré par Sawt Noujoum en 1974.
[17] Pour que la femme pénètre les espaces des hommes, il faut qu’elle soit dotée d’une sagesse remarquable, une femme avec grande expérience dans la vie, une tagwrramt/ sainte, alors que tous les hommes, quel que ce soit leurs statuts, des sages ou des faux, ont droits à accéder à ces espaces.
[18] Deux romans sont échappés à ce constat: celui de Brahim Laasri, tamɣra n uccann/ Le mariage des chacals dont les évènements se déroulent autour de deux personnages: tanirt et acmkar, et celui de Jamal Ait Jeddi, illis n tahrra/la fille de tahrra.
[19] En Islam, le mahrem pour une femme est un homme avec lequel elle ne peut pas se marier. Elle est sous son autorité et sa responsabilité et, elle ne peut rien faire sans son consentement (père, frère, oncle, grand père…)
Annexe
How to Cite:
Farras, F., (2023) “Écriture du corps et de l’espace dans le roman feminin en amazighe tachelhit”, Tamazgha Studies Journal 1(1), 65-79.
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ISSUE
Volume 1 • Issue 1 • Fall 2023
Pages 65-79
Language: French
INSTITUTION
Université Ibn Zohr, Maroc
Keywords: Écriture féminine, roman, corps, espace